Imagination et planification
Imagination et planification
Elizabeth R. Epperly
Montgomery a fait durant des mois ce qu’elle appelait du « bêchage », dressant les grandes lignes et écrivant des notes. Elle « couvait » son personnage principal, inventait des événements, des dialogues et des détails sur le cadre, tout cela pour donner de la substance à son personnage. Dans les années 1920, répondant à des questions avec plus d’une centaine d’auteurs contemporains, Montgomery a dit :
« Je planifie tout à l’avance… les personnages, l’intrigue et les incidents ne changent jamais 1. »
Montgomery expliquait : « pour moi, le personnage est de loin ce qu’il y a de plus intéressant –vient ensuite le cadre. Dans l’élaboration de l’un et la configuration de l’autre, je trouve mon plus grand plaisir… » Le personnage guidait les romans; dans le cas des nouvelles, c’était le contraire. Un incident produisait le personnage et le cadre devait dramatiser l’événement central. Anne of Green Gables a établi le processus : tous les romans de Montgomery s’articulent autour du personnage.
Carnets et schémas
Au début de sa carrière d’écrivain, Montgomery a contracté ce qu’elle appelait sa « manie du carnet ». Elle les remplissait et les conservait (aucun n’a cependant survécu), les consultant pour y trouver l’inspiration et des détails. Anne of Green Gables s’est inspiré d’une entrée vieille de dix ans de son carnet, notée lorsque Pierce et Rachael Macneill, de Cavendish, ont adopté une petite fille : « Un couple âgé a demandé un garçon à l’orphelinat. On leur a envoyé une fille par erreur. » Dans la vraie vie, l’orphelinat a envoyé le garçon demandé, mais on leur a également envoyé sa sœur cadette sans prévenir.
Dans ses schémas, Montgomery divisait une histoire en sections, dont certaines devenaient des chapitres, et notait exactement ce qui se produirait, avec quelques dialogues et descriptions. Ce n’est que lorsque toute l’histoire était entièrement prévue qu’elle ressentait le vrai plaisir du travail, écrivant librement, guidée toutefois par son schéma.
Les schémas d’« ébauche » et de « mûrissement » pour Anne of Green Gables n’existent plus, mais Montgomery a préservé quelques pages de schémas d’histoires dans le manuscrit de Rainbow Valley (1919), dont elle a confié la dactylographie à quelqu’un d’autre, et pour Mistress Pat (1935). Dans le cas de Rainbow Valley, Montgomery, mère et épouse de pasteur très occupée en Ontario, a demandé à quelqu’un de dactylographier des parties de ses schémas et notes manuscrits, puis elle s’est servie des pages de schémas manuscrites et dactylographiées comme papier brouillon pour composer des sections du roman.
Inspirée par la nature
À l’instar d’un de ses romanciers favoris, Anthony Trollope, Montgomery marchait pour s’aider à concevoir et composer. Elle répétait et démêlait de nombreuses parties de l’histoire d’Anne tout en marchant dans ce qu’elle appelait en 1914 « mon objet préféré dans la Nature » : Lover’s Lane (le Sentier des amoureux) à Cavendish. Montgomery l’a même introduit dans l’histoire d’Anne, en faisant également un des lieux favoris de cette dernière. Elle a photographié l’allée durant des années, y voyant un endroit essentiel pour son imaginaire.
Les arcs verts, les courbes séduisantes et les vues encadrées du Sentier des amoureux ont inspiré l’image de la « courbe » dans la route à la fin d’Anne of Green Gables, image métaphorique qui a figuré dans nombre de ses œuvres 2.
Lecture et conception
Lectrice passionnée à un si jeune âge qu’elle ne se rappelait même pas quand elle avait commencé à lire, Montgomery a dévoré toute sa vie livres et articles, poèmes et romans. À Cavendish, elle lisait un nombre stupéfiant de magazines pour se tenir au courant du marché de l’édition 3. Elle découpait des images et des articles de magazines et de catalogues pleins de couleurs pour ses cahiers de coupures 4.
Concevant et rédigeant l’histoire d’Anne, Montgomery consultait ses albums, y trouvant beaucoup des fleurs, des types de vers et des planches de mode – particulièrement les manches bouffantes! – qu’Anne admirait. Elle s’est rappelé ses trouvailles dans une longue entrée de journal le 30 juillet 1905, et elle le referait des années plus tard, le 22 novembre 1926.
Anne Shirley est également une lectrice assidue, et Anne of Green Gables fourmille d’allusions à des œuvres populaires ou littéraires.5 L’esprit bien nourri de Montgomery était également en phase avec les rythmes de tout ce qu’elle lisait.