La maison Green Gables de L.M. Montgomery
La maison Green Gables de L.M. Montgomery
Alan MacEachern
La maison qui se trouve sur le Site patrimonial Green Gables à Cavendish est peut-être la maison la plus célèbre au Canada, du fait de son association avec le roman de L.M. Montgomery Anne… la maison aux pignons verts, mais la nature de cette association nécessite toujours des explications. Non, l’autrice n’y est pas née. Elle n’y a pas vécu non plus dans son enfance ou pendant l’écriture du roman. Non, cette maison n’a jamais été celle d’Anne, un personnage fictif. Oui, elle a été source d’inspiration pour le lieu mentionné dans le titre – mais ce n’est pas la seule. Toutes ces clarifications indiquent à quel point cette association est en réalité limitée. Mais elle s’est solidifiée avec le temps, pour Montgomery elle-même autant que pour quiconque.
Avant Anne
Avant de devenir Green Gables, il s’agissait d’une propriété agricole typique de l’Île-du-Prince-Édouard : une longue et mince parcelle de 100 acres et plus s’étendant jusqu’à la côte, au centre de laquelle se trouvait une solide maison de ferme du 19e siècle, sans caractère exceptionnel. Dans l’enfance de Montgomery, elle appartenait à des membres de sa parenté plus âgés, Margaret et David Macneill, qui étaient frère et sœur. Maud vivait à quelques fermes de là et passait par la cour de l’école de Cavendish et les boisés environnants pour arriver au « Sentier des amoureux », un sentier boisé et sinueux à l’arrière de la propriété des Macneill. C’est cette partie de la ferme Macneill qui enchantait la future autrice. Dans sa jeunesse, elle a écrit à maintes reprises avec enthousiasme dans son journal sur le Sentier des amoureux. Mais elle n’a rien écrit sur la maison et les champs des Macneill (à l’exception de sa « chère » chambre).
Au milieu des années 1890, une jeune parente, Myrtle Macneill, est allée vivre avec Margaret et David, et s’est liée d’amitié avec sa cousine Maud. Par la suite, Myrtle a épousé Ernest Webb à la maison des Macneill, et les Webb ont repris la ferme plus tard. Comme une amie plus proche de son âge y vivait, Montgomery s’est probablement rendue dans cette maison plus souvent qu’auparavant, mais rien n’indique que la maison ait eu une grande signification pour elle. Les Webb n’y vivaient même pas lorsqu’elle a écrit Anne.
Pèlerins littéraires
Après la publication du roman Anne of Green Gables (Anne… la maison aux pignons verts) en 1908, des pèlerins littéraires 1 se sont abattus sur Cavendish à la recherche des lieux qui avaient inspiré le livre – ou s’attendant à trouver les vrais lieux mentionnés dans le roman. Dès 1911, le magazine Saturday Night, dans un échange imaginaire avec Montgomery, la réprimandait pour avoir rendu l’Î.-P.-É. si attrayante qu’elle allait certainement être assiégée par les touristes : « Pourquoi l’un des rêves des voyageurs canadiens au milieu de l’été est-il de trouver Green Gables et d’entrevoir Anne? » 2 Parce qu’on savait que le Sentier des amoureux sur la propriété des Webb avait servi de modèle à celui du livre, on présumait également de plus en plus que la maison de ferme était Green Gables. Il y avait toutefois une autre candidate à Cavendish : la maison d’enfance de Montgomery. Mais lorsque le propriétaire de cette maison en a eu assez de l’attention des touristes et l’a démolie, la maison des Webb est devenue la maison « Green Gables », sans autre rivale.
Montgomery était flattée mais stupéfiée d’avoir créé un endroit fictif tellement vivant qu’il avait donné naissance à un fac-similé réel. Elle insistait pour conserver le mérite de son talent –« Sur le plan pratique, Green Gables était imaginaire », a-t-elle écrit 3 – et elle corrigeait les inspirations présumées qui étaient entièrement fausses (par exemple, que l’étang devant la ferme Webb était le Lac-aux-miroirs). Mais elle a également contribué activement à solidifier l’association entre les pignons verts et Green Gables.
Green Gables, la maison
En raison de tout l’intérêt suscité par leur maison, Myrtle et Ernest Webb l’ont ouverte pendant l’été à des pensionnaires à partir du début des années 1920. Myrtle a vendu aux touristes des cartes postales et de la porcelaine sur le thème de Green Gables, ainsi que des exemplaires du roman Anne of Green Gables autographiés par l’autrice. Dans son journal, Montgomery déplorait la commercialisation croissante de Cavendish et la contribution de sa carrière littéraire à cette situation, mais elle n’a jamais inclus les Webb dans cette critique. Elle ne s’est jamais plainte, par exemple, qu’ils aient appelé leur maison Green Gables.
La maison n’a pas tardé à faire partie de sa marque. Elle faisait la promotion des livres, comme ceux-ci faisaient la promotion de la maison.
Et l’autrice était ravie que les Webb l’entretiennent avec autant de goût.
Mais au-delà des considérations commerciales, Green Gables est également devenue un refuge pour Maud. Ayant déménagé en Ontario, elle en faisait désormais le point central de son retour annuel. Le Sentier des amoureux et les autres attraits naturels de la ferme – y compris, confiait-elle à son journal, « ce qui est désormais connu, grâce à Anne, comme la « Forêt hantée » 4 – l’attiraient toujours, comme la maison d’ailleurs. C’était ce qui la rapprochait le plus d’un retour à l’enfance, plus paisible que sa vie domestique adulte. Décrivant un séjour chez les Webb en 1929, Montgomery a écrit :
Ce soir, j’ai passé une soirée « à la maison » du genre que je croyais disparu de la terre. Nous étions tous assis dans le salon. Un feu de bois chaleureux chassait la fraîcheur de cette soirée d’automne. J’ai fait un peu de broderie, Myrtle cousait, Ernest lisait, les filles écrivaient des lettres, les chatons folâtraient – nous parlions quand nous en avions envie et gardions le silence autrement. Et il y avait une sympathique lampe au « kérosène » sur la table, qui enveloppait tout d’une douce lumière. 5
Comme toujours avec Montgomery, il est difficile de distinguer sa réalité de l’interprétation qu’elle en donne. Bien qu’elle ait dit plus tard que la maison des Webb était son second chez soi et prétendu qu’elle s’y installait chaque fois qu’elle revenait à l’Île, Green Gables n’était en réalité qu’une maison parmi plusieurs où elle séjournait régulièrement lorsqu’elle retournait à l’Î.-P.-É. 6 De même, bien que, selon la croyance générale, elle restait dans une pièce qui avait été baptisée la « chambre d’Anne » lorsqu’elle se trouvait chez les Webb, ces derniers l’installaient en réalité dans une chambre de l’autre côté du hall. 7
Green Gables, la destination
La popularité de Cavendish auprès des touristes a grandi encore davantage dans les années 1930, avec Green Gables comme pièce centrale, au point que, durant les fins de semaine d’été, une centaine de voitures se garaient directement sur la plage de Cavendish – à l’extrémité nord de la ferme des Webb – ce qui n’est pas une coïncidence. En 1936, année où des inspecteurs de la Division des parcs du Dominion ont visité l’Île à la recherche d’un site pour l’aménagement d’un parc national, ils ont été attirés par la maison Green Gables en raison de son potentiel évident pour le tourisme de masse et de leur conviction que seul un parc pourrait gérer ce tourisme à perpétuité.
Montgomery était alors si étroitement associée à Green Gables qu’elle a été informée de l’intérêt de la Division des parcs bien avant les Webb. Elle a d’abord été désespérée à cause de ce que cela signifierait pour les Webb et pour Green Gables même: « À cause d’Anne certainement!... Quand j’aime un endroit, n’est-il pas condamné? » 8 Mais elle s’est réconciliée avec l’expropriation quand elle a appris que les Webb seraient les gardiens de la maison. Elle était heureuse, a-t-elle dit au Globe de Toronto, de savoir que les repaires d’Anne seraient préservés. 9 Le Parc national de l’Île-du-Prince-Édouard ne s’est pas contenté de les préserver, il les a créés, poursuivant la transformation de Green Gables pour faire de cette maison de ferme typique de l’Île le lieu idyllique né de l’imagination de Montgomery. Le paysage a été modifié et embelli – des jardins de fleurs ont remplacé les potagers, un terrain de golf a remplacé les champs de la ferme – et l’allée droite a été modifiée pour offrir une entrée sinueuse plus romantique vers la propriété. Des volets ont été installés sur la maison et, pour la première fois, les pignons ont été peints en vert.
Montgomery n’est retournée à l’Île-du-Prince-Édouard que deux fois après la création du parc. La première fois, à l’automne 1939, c’était pour échapper à son stress personnel et aux tensions mondiales, qui allaient de la dépression à la déclaration de guerre. La vue de ce que le Parc avait fait de Green Gables l’a revigorée. Myrtle Webb a écrit dans son journal que Maud avait pris beaucoup de photos de l’endroit et qu’elle en aimait chaque parcelle. Elle a ajouté qu’elle se sentait beaucoup mieux qu’à son arrivée. 10 La deuxième fois, c’était en avril 1942, après son décès en Ontario. Sa dépouille a été ramenée à l’Île-du-Prince-Édouard et une veillée a eu lieu, 11 non pas dans la maison de parents ou dans une église locale, mais dans la salle à manger de Green Gables. Même si c’était la maison d’une autre famille et qu’elle faisait partie d’un parc national, Green Gables était désormais incontestablement et inéluctablement la maison de L.M. Montgomery.