L. M. Montgomery (1874–1942) : la vie créative de l’autrice
L. M. Montgomery (1874–1942) : la vie créative de l’autrice
Emily Woster
L.M. Montgomery était entourée de conteurs et son univers était rempli d’histoires.
Les histoires se tissaient dans les petites communautés de l’Île, là où fleurissait l’histoire de ses deux familles et où les potins de la ville prenaient leur source. Les histoires étaient ensuite embellies et transmises oralement par les membres de ses familles Macneill, Montgomery et Woolner. Comme les contes créent de nouveaux univers, l’autrice considérait les livres comme une précieuse porte d’entrée vers la rêverie et l’imagination. Pour Montgomery, les histoires étaient essentielles.
Lorsqu’elle n’avait que 9 ans, elle commença à tenir un journal et à écrire de la poésie. Les mots et les histoires ont ensuite continué à couler de sa plume.
Elle utilisait la lecture comme échappatoire et elle vivait à travers de ce qu’elle écrivait.

Montgomery à l’âge de 8, de 14 et de 17 ans.
L’histoire d’origine
« Certaines personnes pourraient penser que mon enfance était ennuyeuse. En fait la vie n’a jamais été ennuyeuse pour moi. Mon imagination vivide me conduisait tout droit vers le pays des fées. En un tournemain, je pouvais me transporter dans des régions remplies d’aventures incroyables sans contraintes de temps ni d’endroit. Tout était empreint d’une sorte de grâce féérique et d’enchantement émanant de mes propres fantaisies. » 1
Maud, comme sa famille et ses amis l’appelaient, perdit sa mère en 1876. Elle fut alors confiée à ses grands-parents maternels qui l’élevèrent. Alexander et Lucy Macneill étaient peut-être ennuyeux et vieux jeu, mais ils n’étaient pas totalement dépourvus de charme. Alexander était lui-même un fervent conteur. Lucy pour sa part soutenait les ambitions d’éducation de sa petite-fille. Ses grands-parents l’encourageaient à explorer la nature et à respecter l’écriture, ce qui s’est avéré être exactement ce dont cette enfant enjouée et pleine d’imagination avait besoin.
Elle fréquenta la petite école blanche de Cavendish. Entourée d’autres camarades de son âge, en petit groupe, elle se régalait des triomphes et des tragédies des jours d’école qu’elle façonnait à sa manière pour les consigner, parfois dramatiquement, dans ses journaux et dans ses albums.
Elle écrit et lu durant toutes ces années. En faisant une rétrospective de sa carrière d’écrivaine dans le livre The Alpine Path, l’autrice dit : « Il va sans dire que j’étais passionnément amoureuse de la lecture. » Comme plusieurs fervents lecteurs, elle créait elle-même de nouvelles histoires du bout de sa plume. Elle publia son premier poème un peu avant son seizième anniversaire. Son premier essai paru l’année suivante. À 24 ans, après avoir étudié et enseigné plusieurs années, elle retourna à Cavendish pour prendre soin de sa grand-mère qui était maintenant veuve. Elle avait alors à son actif la publication de 46 poèmes, 28 nouvelles et 12 autres esquisses et essais (liste approximative en raison de registres incomplets).

Montgomery dans la vingtaine et la trentaine.
Travail préliminaire
Elle retourna vivre à Cavendish entre 1898 et 1911 environ, sauf durant quelques mois lorsqu’elle alla travailler pour un journal d’Halifax. Bien que cette période puisse paraître courte, elle fut déterminante pour sa croissance artistique. Son imagination se développa et elle avait du temps pour parfaire son style, pour peaufiner son journal et ses ébauches, et pour envoyer discrètement des dizaines d’histoires et de poèmes à partir du bureau de poste du village, installé dans la cuisine de la maison familiale. Elle profita aussi de ce temps pour s’adonner à la lecture et consommer le travail d’autres écrivains. Lors de longues balades dans ses endroits favoris, tels que le chemin des amoureux, le rivage, les champs sur la colline et la forêt, elle concoctait et couvait des personnages et des péripéties. Elle se les racontait à elle-même et les agrémentait de descriptions colorées de ce qu’elle voyait autour d’elle. Grâce à son travail dans le milieu des magazines, elle développa un processus qu’elle appelait « spade work » (travail préliminaire). Ce processus deviendra fondamental dans l’écriture de ces romans. Elle testait des images de poésie, façonnait des intrigues et esquissait des descriptions poétiques de lieux. Elle réfléchissait aussi attentivement aux mots et aux formulations à utiliser. À cette même époque, elle commença à prendre des centaines de photographies, expérimentant le cadrage et l’échelle, ce qui lui permettait de capturer les parties de Cavendish qui étaient si importantes pour elle.

Montgomery photographiait souvent le Sentier des amoureux et le rivage près de Cavendish. Elle développait ensuite elle-même ses images dans une chambre noire artisanale.
« Je ne crois pas que Anne…la maison aux pignons verts aurait vu le jour sans ces années à Cavendish.2

Montgomery en 1908.
Après toutes ces années d’apprentissage et de travail acharné (elle publiait parfois plus de 100 œuvres en un an), elle décida de se plonger dans l’écriture d’un roman. En 1908, la vie de Montgomery changea drastiquement après la publication et le succès immédiat de Anne… la maison aux pignons verts. Elle passa soudain de jeune écrivaine de Cavendish à autrice célèbre de Cavendish. Elle donnait des entrevues à des journalistes d’un peu partout en Amérique du Nord. Elle reçut aussi une note du bureau de Mark Twain qui disait qu’il avait trouvé que Anne était « la plus chère, la plus émouvante et la plus charmante enfant, depuis l’immortelle Alice ».
Elle fut aussi bien occupée durant ses années à Cavendish. Elle entretenait des correspondances, elle lisait, elle participait à des événements organisés par l’église et elle était activement engagée dans la Cavendish Literary Society. Pendant cinq ans, elle fut aussi fiancée en secret au Révérend Ewan Macdonald. Sa grand-mère Macneill mourut en 1911. Lucy Maud Montgomery put alors annoncer ses fiançailles, se marier et quitter Cavendish pour rejoindre la paroisse de son mari en Ontario. Elle avait déjà publié quatre romans, des centaines et des centaines de poèmes et de nouvelles au cours de la décennie précédente.
(Ré) visions
Pour ses amis elle était toujours « Maud », mais pour les lecteurs elle était « L.M. Montgomery ». Après avoir marié Ewan et s’être installée à Leaskdale en Ontario et devint madame Rév. Ewan Macdonald, un rôle qui venait avec son lot de responsabilités et d’obligations publiques. Par contre, malgré ces nouvelles tâches qui s’ajoutaient à son horaire, Lucy Maud Montgomery continua à lire beaucoup et à écrire régulièrement.
Autant dans ses œuvres de fiction que dans ses autobiographies, l’écriture de Lucy Maud Montgomery bouillonnait de l’énergie qui émanait de son esprit aiguisé, affiné par la lecture et par sa passion pour les mots.

Maud et Ewan à Glasgow pendant leur lune de miel en 1911.
Ses journaux de Leaskdale transforment ses évasions en texte. On y trouve de longs sommaires de ses lectures et de ses opinions à leur sujet. Elle y racontait aussi des récits rêveurs et descriptifs à propos de sa vie passée, de ses visites récentes à l’Île-du-Prince-Édouard, et elle faisait aussi un compte-rendu de l’avancement de l’écriture de ses romans et de leur accueil par le public. Elle publia encore plus d’histoires et de poèmes pour les magazines, six nouveaux livres, un recueil de poésie, une courte autobiographie et un grand volume de nouvelles. Tout cela en seulement 15 ans. Pendant cette même période, elle s’occupait aussi de tenir maison, d’entrenir une correspondance, d’appuyer et d’encourager Ewan, d’élever ses deux fils et de répondre aux besoins de la communauté. C’est aussi à cette même époque qu’elle vécut le deuil déchirant de la perte d’un autre fils à la naissance. Les années à Leaksdale ont été riches autant en réussites qu’en tragédies. Les histoires l’aidaient à maintenir le cap et à ne pas succomber au drame, même si elle ne minimisait pas les deuils qu’elle vivait et les pertes douloureuses qu’elle subissait.
« Mais ces abandons ne durent jamais bien longtemps. Après avoir pris un temps de repos et m’être consolée, soit en me plongeant dans un livre intéressant ou en me confessant dans mon journal, je me relève et je me résous à persévérer jusqu’à la fin. »
- 13 décembre 19193

Montgomery vers 1919,1923 et 1929.
Les récits et les séries
Montgomery se complaisait dans la lecture et dans l’écriture, durant son séjour à Leaksdale dans les années 1920 et lors de sa relocalisation à Norval en Ontario dans les années 1930. Elle enchevêtrait des vieilles histoires de famille et des désaccords survenus au sein de celle-ci pour créer son roman intitulé A Tangle Web (L’héritage de tante Becky), qu’elle écrit en 1931. Ce titre fait allusion à une image tirée de son cher Marmion, écrit en 1808, par Walter Scott’s : « Ô la toile enchevêtrée que nous tissons, lorsque dès l’abord nous pratiquons la tromperie. » (Canto VI.XVII.27-8) Elle passait son temps à relire des dizaines de ses livres préférés et des ouvrages des auteurs qu’elle affectionnait le plus. Elle se réservait aussi du temps pour écrire le plus possible, soit en travaillant sur des romans ou en rédigeant de longues lettres à ses correspondants G. B. MacMillan et Ephraim Weber.
Malgré les bouleversements qu’elle vivait, la maladie de son conjoint, les stress familiaux avec lesquels elle devait composer, les revers financiers ou professionnels, la lecture et l’écriture revigoraient le cœur et l’esprit de Montgomery.
Après qu’elle et Ewan ont pris leur retraite à Toronto en 1935, elle a maintenu un programme chargé d’apparitions publiques, en faisant des lectures de ses propres œuvres ou donnant des conférences pour promouvoir la littérature canadienne. Elle faisait partie de la Canadian Author’s Association et du Canadian Women’s Press Club, assistant aux événements et travaillant assidument à la préparation de conférences intéressantes et bien structurées. Elle assista aussi au développement du parc national, qui prit en charge la maison Green Gables et elle vit son héritage grandir. Elle publia ses trois derniers romans, Anne of Windy Poplars (Anne au Domaine des Peupliers) en 1936, Jane of Lantern Hill (Les Vacances de Jane) en 1937 et Anne of Ingleside (Anne d’Ingleside) en 1939. En même temps qu’elle se préparait à ces événements publics, elle retranscrivait ses journaux, qu’elle avait déjà recopiés, superposant à nouveau histoire sur histoire et mot sur mot.
Lucy Maud Montgomery s’est éteinte à Toronto le 24 avril 1942. Elle venait tout juste de soumettre un recueil de nouvelles et de poèmes autour d’Anne à son éditeur. Il était intitulé The Blythes Are Quoted. Pour Montgomery, la vie écrite était la vie vécue et elle écrivit jusqu’à la fin.

Montgomery en 1930, lors d’un de ces derniers voyages à l’Île-du-Prince-Édouard. Elle était toujours charmée par la beauté naturelle des lieux..
Épilogue, « ma bibliothèque préférée »
En 1917, Montgomery publia un court article de réflexion intitulé « My Favorite Bookshelf ». Après y avoir apporté seulement quelques modifications mineures, elle le fit paraître dans le journal The Island Crusader, en 1937. Cet article permet au lecteur de faire une visite créative de sa « vieille bibliothèque défraichie » et de découvrir son contenu précieux. Ce n’est pas par hasard qu’un essai à propos de ses livres trouva écho en elle 20 ans après l’avoir écrit. Les contes étaient essentiels à sa vie, et ce, malgré les bouleversements qu’elle vivait et les difficultés professionnelles auxquelles elle devait faire face.
Les livres inscrits dans « My Favorite Bookshelf » ne suivent aucun ordre particulier. Un ouvrage écrit par « un grand poète vers lequel je me tourne lorsque j’ai besoin de consolation » suit un livre de jardinage et un « livre de voyage dans lequel je me réfugie lorsque je suis désespérément lasse des chemins battus ». L’autrice, tout comme ses propres lecteurs, se réconfortait avec les histoires.
« Ces livres sont mes amis. Les livres des autres bibliothèques ne représentent pour moi que des sources de connaissances agréables. Ceux-ci représentent chacune de mes humeurs. Leur magie blanche fonctionne toujours. Je m’installe paresseusement dans mon fauteuil confortable, j’ouvre leur couverture usée, et tout à coup tout change! Tout est différent, et comme il se doit. » 4
Toute la lecture et l’écriture créative réalisées par l’autrice laissèrent un héritage. Même un siècle plus tard ses créations invitent le lecteur à expérimenter ce qu’elle chérit aussi dans les histoires : la joie immersive et puissante du retour à la maison.

1 The Alpine Path: The Story of My Career, 1917, Nimbus, 2005, p. 10. Retour
2 The Alpine Path, p.10. Retour
3 The Complete Journals: The Ontario Years, 1918–1921, sous la direction de Jen Rubio, Rock's Mills Press, 2017, p. 357. Retour
4 The L.M Montgomery Reader, Volume 1: A Life in Print, sous la direction de Benjamin Lefebvre, University of Toronto Press, 2013, p. 155. Retour