Anne sur scène
Anne sur scène : Anne of Green Gables—The Musical™
Fraser McCallum
L’idée d’adapter Anne of Green Gables de L.M. Montgomery sous forme d’une désormais célèbre comédie musicale est née d’une brève rencontre entre l’humoriste, acteur et auteur canadien Don Harron et ses amis, les auteurs et musiciens Norman et Elaine Campbell. Les Campbell ont offert à Harron un exemplaire du célèbre roman, alors que l’artiste vétéran de la scène souffrait de la grippe, et il a rapidement allumé chez lui une étincelle.
Elaine et Norman Campbell évoquent la genèse de la comédie musicale (01:16). (En anglais seulement).
Une commande royale
L’équipe canadienne légendaire composée de Harron et des Campbell a adapté pour la première fois Anne of Green Gables en 1956 pour une émission spéciale de la CBC. En 1964, l’équipe a été invitée à Charlottetown par Mavor Moore, le directeur artistique du nouveau Centre des arts de la Confédération, le monument national du Canada érigé à la mémoire des Pères de la Confédération. Moore y mettait en scène un grandiose spectacle de variété pour l’ouverture officielle du Centre des arts de la Confédération et de son grand théâtre ultramoderne de 1100 places, et il a invité le duo à présenter une courte scène inspirée de leur précédente adaptation télévisée d’Anne of Green Gables.
Sa Majesté la reine Élizabeth II était présente pour inaugurer officiellement le Centre et, si l’on en croit la légende, elle aurait été amusée par la scène d’Anne présentée par Harron et Campbell, et a demandé où était le reste de l’histoire. Campbell, Harron et Moore ont considéré ce souhait comme une « commande royale » et ils se sont mis à l’œuvre pour transformer leur œuvre en une comédie musicale en deux actes complète qui serait présentée l’été suivant à Charlottetown.
Le Festival de Charlottetown
En tant que premier directeur artistique du Centre, Moore avait pour tâche d’organiser un nouveau festival estival de comédies musicales pour l’Île. L’idée était de créer un festival annuel « plein de musique et de rires » de niveau professionnel, et reflétant la culture et l’identité canadiennes auprès des Insulaires ainsi que des visiteurs. Moore savait qu’Anne Shirley était le personnage le plus célèbre de la littérature canadienne, et donc le sujet idéal tant pour une nouvelle comédie musicale canadienne que pour un festival se déroulant à l’Île-du-Prince-Édouard.
Moore considérait également que l’œuvre de Montgomery dépeignait honnêtement le caractère de l’Île, « … qui nous incite à nous réjouir de nos victoires et à nous affliger de nos chagrins lorsque nous les voyons représentés dans son Avonlea, a-t-il expliqué lors d’une entrevue. C’est cet ensemble même de qualités – nous réjouir et nous affliger et la représentation des deux, qui fait d’Anne… un sujet approprié pour une comédie musicale. »
« … la quête d’une orpheline; mais Anne Shirley est un portrait classique – et un portrait peut s’animer sur scène de façon encore plus vivante que sur une page imprimée. »
La comédie musicale prend vie
À l’été 1965, Harron avait terminé le livret de la comédie musicale (les dialogues, les indications scéniques, etc.) et les Campbell avaient composé des mélodies véritablement accrocheuses, dont des chansons maintenant aussi emblématiques que « Ice Cream » (Crème glacée) et que « Gee I’m Glad I’m No One Else But Me, » (Que je suis contente de n’être personne d’autre que moi) et « The Apology » (Les excuses). Tous les trois ont composé les paroles des chansons avec des contributions de Moore. La première mondiale d’Anne of Green Gables–The Musical™ a eu lieu sur la scène du grand théâtre le 27 juillet 1965 – un moment mémorable pour la distribution, les créateurs et les habitants de l’Île.
Aux créateurs originels sont venus s’ajouter la créatrice de costumes Marie Day, le décorateur Murray Laufer, et le metteur en scène et chorégraphe originel Alan Lund (qui allait succéder à Moore en tant que directeur artistique en 1966). La distribution d’origine mettait en vedette Barbara Hamilton et Peter Mews dans les rôles de Marilla et Matthew Cuthbert, Maud Whitmore dans celui de Rachel Lynde, et la jeune Jamie Ray (originaire du Texas) dans le rôle d’Anne Shirley.
Ray allait interpréter le rôle-titre pendant les trois premières saisons du Festival, et celle qui lui a succédé, Grace Finley, native de l’Île-du-Prince-Édouard, se souvient affectueusement d’elle : « Jamie était aussi chaleureuse et généreuse dans la vie que sur scène, et je n’oublierai jamais le soutien et les conseils opportuns qu’elle m’a prodigués lorsque je me suis jointe à la troupe en tant que jeune apprentie, et la chaleur dans sa voix au doux et charmant accent texan. » Finley détient toujours le record de la comédienne ayant incarné Anne le plus longtemps, ayant porté les tresses rousses de 1968 à 1974, puis de nouveau de 1984 à 1985. Dix-huit autres femmes ont interprété le rôle-titre, notamment Jessica Gallant, elle aussi originaire de l’île (2015-1016) et, plus récemment, Kelsey Verzotti (2022).
« Nous, toutes les Anne qui avons succédé à Jamie, avons hérité d’un personnage créé et incarné avec amour, se souvient Finley. C’était une pionnière, celle qui a fait passer le personnage d’Anne des pages d’un scénario aux lumières de la scène et nous devons beaucoup à son travail et à son inspiration. C’était une vraie dame, et notre première Anne. »
Anne défie le temps
La comédie musicale maintenant célèbre de l’Île a fait de nombreuses tournées hors du Centre des arts de la Confédération. Elle a entre autres fait une tournée dans les principales villes canadiennes en 1967, et elle a été jouée à l’Exposition universelle d’Osaka, au Japon, en 1970, où elle a représenté le Canada. En 1969, elle a été présentée dans le West End de Londres, remportant le Drama Critics Award de la meilleure nouvelle comédie. Elle a également été jouée brièvement sur Off-Broadway du 21 décembre 1971 au 2 janvier 1972, à l’Expo 86 (Vancouver) et dans huit villes du Japon. Elle a aussi effectué diverses tournées au Canada et a été jouée quelques fois à Toronto, au Connecticut et dans d’autres endroits.
La pérennité de la comédie musicale peut être évidemment attribuée à la source originelle; toutefois, les critiques dans les principaux endroits où elle a été jouée ont encensé le spectacle pour ses qualités propres, déclarant qu’il s’agissait de « la comédie musicale familiale à son meilleur » (London Times) et de « la comédie musicale la plus saine depuis La mélodie du bonheur » (Daily Express). C’est peut-être Reuters qui a été le plus juste en 1974 : « Anne a eu droit à 10 rappels… une brise rafraîchissante pleine de charme et d’émotion. » Ni Montgomery ni l’équipe de création d’origine n’ont laissé le côté charmant de l’histoire l’emporter sur l’enthousiasme, la détermination et le sens de l’humour d’Anne.
L’enregistrement officiel du spectacle avec la distribution d’origine a été vendu jusqu’ici à environ 50 000 exemplaires, et on estime qu’Anne of Green Gables—The Musical™ a été vu par environ 2,5 millions de spectateurs. En 2014, Anne a été inscrite dans le Livre Guiness des records comme « la comédie musicale annuelle à la plus durable », et en 2017 la production a célébré sa 2500e représentation au Festival de Charlottetown.
« Anne de la maison aux pignons verts, ne change jamais, nous t’aimons comme tu es… »