Anne dans le Japon du 21e siècle
Anne dans le Japon du 21e siècle
Yoshiko Akamatsu
Au Japon, grâce à la popularité d’Akage-no-An (Anne aux cheveux roux) les livres d’Anne n’ont jamais cessé d’être publiés. Comme le dit Anne Shirley, on peut voir « tant d’Anne différentes » tout au long de la série. L’amour du Japon pour Anne of Green Gables, qui ne s’est jamais démenti, a de nombreuses facettes.
Le legs de Muraoka
Hanako Muraoka, la première traductrice japonaise d’Akage-no-An (Anne… la maison aux pignons verts), a publié en 1952 la première édition reliée chez Mikasa-shobo. Deux ans plus tard, l’ouvrage a été publié par Shinchosha sous la forme d’un bunko-bon, un livre de poche à couverture souple lu par des personnes de tous âges. Les sept suites ont été publiées ultérieurement par Kodansha et ont ensuite été réimprimées par Shinchosha sous la forme de livres bunko. Si l’on inclut les versions traduites de Chronicles of Avonlea (Chroniques d’Avonlea) et Further Chronicles of Avonlea (Chroniques d’Avonlea II), on désigne dix ouvrages comme « les livres d’Anne de Shinchosha ».
La traduction en japonais d’Anne of Green Gables pour les enfants se décline en versions abrégées et intégrales (mais quelques versions « intégrales » ne comprennent pas les dédicaces et/ou les épigraphes). Hanako Muraoka a publié les deux types, mais c’est sa traduction originelle abrégée qui est la plus connue et qui est souvent incluse dans « la série World Famous Books for Children » (les livres pour enfants célèbres dans le monde). Cette série visait à inculquer aux enfants un savoir culturel fondamental du monde, et elle comportait de magnifiques illustrations. Des générations d’enfants en sont venues à connaître le nom de Muraoka grâce à ces livres. Quant aux autres versions abrégées de Muraoka, sa traduction de huit livres d’Anne a été publiée en 2008 par Popularsha, avec de superbes couvertures de l’aquarelliste Shinya Uchida.
Nouvelles éditions
Après la mort de Muraoka en 1968, beaucoup de traducteurs ont proposé leurs propres versions d’Anne pour un jeune lectorat. Certaines ont vite été épuisées, mais la plupart survivent sous forme numérique.
En 2018, Eriko Kishida a publié sa version d’Anne, qu’ornent de magnifiques illustrations de l’artiste primé Mitsumasa Anno (1984 prix Hans-Christian-Andersen), chez Asahi Press, et elle a été reçue avec enthousiasme par les admirateurs japonais de Montgomery. Chino Midori a publié Anne en deux tomes en 1987, ainsi que ses deux suites [Anne of Avonlea (Anne d’Avonlea) en 1987, et Anne of the Island (Anne quitte son île) en 1992], avec de mystiques illustrations de couverture d’Itsuko Azuma. Comme le montrent les critiques parues à l’époque de la version originelle d’Anne of the Island (1915) 1, certains lecteurs et lectrices japonais (dont des traducteurs) préfèrent ces trois premiers livres d’Anne aux livres ultérieurs en raison du caractère singulier et imprévisible de la jeune Anne. Les trois livres de Chino témoignent de cette estime universelle.
Yoichiro Kawai, un spécialiste de Shakespeare, a publié les trois premiers livres d’Anne, et au lieu d’ajouter des notes sur les allusions de Montgomery, il les a expliquées avec précision dans le texte même. Il a même renommé Anne of the Island (Anne quitte son île) Le premier amour d’Anne (2021). Les traductions de Kawai comportent des illustrations de style manga de Maki Minami sur les couvertures, qui plaisent à de nouveaux publics.
Autres traductions
En 2008, le centenaire de la publication d’Anne, Mie et Eri Muraoka, les petites-filles de la traductrice originelle, ont révisé les traductions de leur grand-mère et publié une nouvelle version des livres d’Anne chez Shinchosha. Mie a également traduit l’ouvrage posthume de Montgomery, The Blythes Are Quoted, publié en deux tomes en 2011 sous le titre Les Jours de souvenir d’Anne. Les traductions de Mie ont été ajoutées à la série des « livres d’Anne chez Shinchosha », portant le nombre total de livres à 12. Tous les étés, depuis 1976, la maison d’édition Shinchosha fait la promotion d’une campagne de lecture d’été énumérant « les cent livres les plus populaires », et Akage-no-An a figuré sur cette liste à chacune des 46 années jusqu’en 2021.
Trois autres traducteurs ont produit des versions populaires du texte. Sakiko Nakamura a publié ses premières traductions en 1957, juste après la parution des livres bunko de Hanako Muraoka. Nakamura n’a pas abrégé les trois derniers chapitres comme l’avait fait Muraoka, mais les lecteurs japonais n’ont pas critiqué les traductions de Muraoka et se sont plu à comparer les différences entre ces traductions. Nakamura a également traduit les suites, utilisant différents titres japonais de Muraoka : Les Lettres d’amour d’Anne pour Anne au domaine des peupliers, et La Famille bien-aimée d’Anne pour Anne d’Ingleside.
En 2005, les traductions des livres d’Anne de Yasuko Kakegawa ont été publiées par Kodansha comme un ensemble de 10 livres bunko. D’abord imprimés en 1990 sous la forme de livres reliés pour enfants, avec des gravures sur cuivre de la célèbre artiste Yoko Yamamoto, Kakegawa a utilisé ses propres mots japonais pour traduire des expressions d’Anne telles que « bosom friend » (ami intime) et « kindred spirit » (âme sœur), offrant une relecture de l’original.
En outre, l’ autrice Yuko Matsumoto a publié en 1993 encore une autre version avec l’éditeur Shueisha, sous forme de livre relié, apportant de nombreux changements à ses originaux. Ses traductions d’Anne of Green Gables, Anne of Avonlea et Anne of the Island ont paru en 2005 et 2008 chez Shueisha sous la forme de livres bunko. Elle a changé d’éditeur (Bungei-shunjyu), révisé ses trois livres d’Anne, et les a republiés en 2019 comme des livres Bunshun-bunko. Depuis, elle a continué à faire paraître ses propres traductions d’autres suites, et elle a récemment annoncé sur son site Web la parution prochaine de deux traductions, de Rainbow Valley (La Vallée Arc-en-ciel) en 2022, et de Rilla of Ingleside (Rilla d’Ingleside) en 2023, portant son total à huit, par rapport aux 11 de Muraoka et aux 10 de Kakegawa.
Bien que toutes les traductions en japonais précédentes aient été réalisées par des femmes, chose intéressante, Shiro Yamamoto, professeur à l’Université de Tokyo, a traduit The Annotated Anne of Green Gables (Oxford University Press, 1997) et l’a publié en 1999 chez Harashobo sous la forme d’un livre relié. La couverture proclamait qu’il s’agissait de la « version intégrale », mais plus tard, en 2014, elle indiquait plutôt qu’il s’agissait de la « version annotée ». Sa traduction, où l’on trouve des expressions familières modernes, donne l’impression d’une Marilla plus jeune, et d’une Anne plus moderne. Il a également inclus les notes de l’éditeur de l’édition anglaise d’origine (par Wendy E. Barry, Margaret Anne Doody et Mary E. Doody Jones), les mettant pour la première fois à la disposition des lecteurs japonais s’intéressant au contexte culturel.
Versions anime et manga
En 1979, la Nippon Animation Company a diffusé une série anime en 50 épisodes d’Anne of Green Gables, ainsi qu’un ensemble de livres connexes 2. Les animateurs de renommée mondiale Isao Takahata et Hayao Miyazaki ont participé au projet. Les scénaristes ont utilisé la traduction de Taeko Kamiyama, publiée sous forme bunko par Obunsha (1973), parce qu’ils considéraient que c’était la traduction la plus fidèle au livre original (il n’est plus disponible qu’en format numérique). La série anime a été rediffusée à plusieurs reprises depuis sa première diffusion, et elle a eu une grande influence sur le lectorat japonais. En 2008, des timbres commémoratifs ont été émis au Canada et au Japon, et les timbres japonais comportent des illustrations tirées de cet anime. Pour ce qui est du manga, le mangaka Yumiko Igarashi a publié Anne of Green Gables en trois tomes en 1997 et 1998, et ses suites, Anne of Avonlea (Anne d’Avonlea) et Anne of the Island (Anne quitte son île) en 1998 (chez Kumon Shuppan). L’artiste les appelle la « série des Anne en bande dessinée ». Bien que s’adressant d’abord aux enfants, ces anime et manga sont également très appréciés des adultes.
Influences
Les traductions et les nouvelles éditions d’Akage no An continuent d’être à la fois extrêmement populaires et lucratives. Chaque traducteur depuis Hanako Muraoka lui est grandement redevable de son original, Anne aux cheveux roux 3. Les lecteurs continuent de rechercher des versions numériques de traductions épuisées et adorent comparer les différences subtiles qui existent entre les histoires. Au début de 2022, il existait plus de 30 traductions en japonais, et une nouvelle version de la traduction de Hanako Muraoka pour les plus jeunes générations, illustrée par les dessins du populaire illustrateur Heisuke Kitazawa, a été publiée en mars 2022 (chez Kodanhsha) par les petites-filles de Hanako, Mie et Eri Muraoka. Elles ont révisé la traduction de leur grand-mère sous son nom et l’ont publiée pour marquer le 70e anniversaire de la traduction japonaise. Elles déclarent que cette dernière version est l’édition définitive de la traduction de Hanako Muraoka. Les lecteurs japonais lisent les histoires de Montgomery de l’enfance à l’âge adulte. Cet intérêt persistant pour les livres signifie que de nouveaux traducteurs émergeront sans aucun doute, donnant aux lecteurs japonais encore plus d’occasions de rencontrer des Anne différentes.