Dans le monde entier
Dans le monde entier : que signifie Anne pour les lecteurs du monde entier?
Divers auteurs
Australie
Lisa Bennett et Kylie Cardell, Flinders University, Australie-Méridionale
Avant tout, nous nous souvenons toutes deux d’Anne pataugeant dans la neige jusqu’aux cuisses. Nous vivons en Australie, mais Lisa a grandi au Canada. Pour elle, la neige était triste et banale; c’est l’héroïsme et l’enchantement d’Anne qui a changé à jamais le paysage hivernal. Pour Kylie, une fille de Brisbane, le cadre romantique d’Anne, rendu avec beaucoup d’amour dans le roman de Montgomery, et représenté de manière inoubliable dans la mini-série de Sullivan, était sensationnel – la course désespérée d’Anne à travers le paysage gelé d’une nuit d’hiver pour, telle une infirmière héroïque, s’occuper d’un bébé, la petite sœur de Diana, aurait pu être une scène d’un film de science-fiction, malgré sa pertinence par rapport à ma réalité. En lisant cette scène, nous sommes pleins de nostalgie, le cœur embrasé. Peu importe où nous nous trouvons, Anne est là, différente de ce qu’elle était dans nos souvenirs, mais faisant ce qu’elle a toujours fait : se frayer un chemin à travers le paysage canadien, rêvasser sans vergogne, réciter des passages de la littérature qui ont changé sa vie – et la nôtre.
Dès que nous pensons à Anne, et où que ce soit, nous sommes chez nous.
Canada
Catherine Sheldrick Ross, dans un extrait de « Reading L.M. Montgomery: What Adult Swedish and Canadian Readers Told Us », de Catherine Sheldrick Ross et Åsa Warnqvist, dans le Journal of L.M. Montgomery Studies, 2020.
Pour certains petits Canadiens, particulièrement ceux et celles qui ont connu L.M. Montgomery il y a plusieurs années, lorsque les livres pour enfants qu’ils lisaient avaient été écrits et se passaient ailleurs, les livres de Montgomery étaient particuliers parce qu’ils dépeignaient un monde qui était typiquement canadien et offraient aux lecteurs la possibilité de se voir représentés dans une œuvre de fiction. ... [Un lecteur m’a dit que] « L’histoire [que Montgomery m’a racontée] est la création d’un monde qui est semblable au nôtre, mais meilleur. Et les personnages sont reconnaissables, depuis les contes de fées jusqu’aux films populaires. ... C’est un monde où les choses ne sont que légèrement transformées à partir d’une existence banale à Saskatoon (Saskatchewan).
L’île du Prince-Édouard ressemblait à cet endroit magique. On pouvait en voir la beauté par les yeux d’Anne. C’est ainsi que nous nous identifiions toutes à Anne. Nous étions certaines que c’était là l’authentique récit canadien, la vraie histoire canadienne. C’est fondamentalement pour imaginer un monde meilleur que celui où nous vivons actuellement. »
Finlande
Vappu Kannas, auteur et spécialiste indépendant, Finlande
On lit les livres d’Anne en finnois depuis cent ans, et même davantage en suédois, l’autre langue officielle de la Finlande. La première traduction d’Anne of Green Gables a été publiée en 1920 sous le titre Annan nuoruusvuodet (« Les jeunes années d’Anne ») et quatre des suites ont suivi entre 1921 et 1925. Plusieurs générations ont aimé Anne, et les livres se transmettaient comme des trésors des mères aux filles, des grands-mères aux petits-enfants, et des parrains et marraines, tantes et amies à d’autres lectrices assidues. À en juger par les lettres de lectrices finnoises publiées dans une collection de comptes rendus de lecture au début des années 2000, les livres de Montgomery, et particulièrement Anne, ont eu un impact considérable sur les Finnoises, petites et grandes. Anne a constitué un rare modèle de fille indépendante et bien équilibrée, dont l’amour des livres et l’éducation ont été une inspiration pour un grand nombre, et en particulier les filles qui ont lu les livres pendant et après les années de guerre. On pourrait dire, alors, qu’Anne a influencé la culture finlandaise en profondeur au niveau local, au moment de la lecture, et la manière dont ces moments ont façonné les vies et les décisions de vie des lectrices.
Islande
Sigríður Lára Sigurjónsdóttir et Ásta Gísladóttir, Université d’Islande
Anne of Green Gables occupe une place importante pour le lectorat islandais. Traduit tout au début de l’édition islandaise (en 1933), le roman arrive dans un paysage littéraire où les livres destinés spécifiquement aux jeunes lecteurs sont rares, de sorte que le titre islandais, Anna í Grænuhlíð est connu du grand public. Quelques-uns des premiers livres d’Anne ont été réédités trois fois au 20e siècle, dans les mêmes versions un peu abrégées. Les derniers ont été publiés en 1988 et après, en lien avec la série télévisée lauréate d’un prix Emmy qui a également été très populaire en Islande. Depuis 2012, la maison d’édition Ástrḱi travaille à de nouvelles traductions du texte original de tous les livres d’Anne pour un lectorat très différent au 21e siècle.
Mais la philosophie d’Anne, si l’on peut dire, et l’histoire de la charmante mais explosive rouquine, est toujours bien vivante dans la culture islandaise, quelque part entre Fifi Brindacier et Pollyanna sur le spectre des jeunes héroïnes.
Iran
Sam Roodi, du Fanshawe College, a écrit « Teaching and Reading Anne of Green Gables in Iran, the Land of Omar Khayyam » pour Anne Around the World: L.M. Montgomery and Her Classic, publié sous la direction de Jane Ledwell et Jean Mitchell, 2013.
Anne Shirley a suscité un étonnant degré d’identification chez les lectrices iraniennes, et leur a offert un moyen fictif à travers lequel projeter leurs images et leurs aspirations. Anne a conquis le cœur et l’esprit de beaucoup de lectrices iraniennes parce qu’elle suit son cœur envers et contre tout. Elle ne permet pas à la vie de faire d’elle une victime des circonstances. Aucun obstacle ne peut entraver son imagination et ses rêves. Les lectrices iraniennes peuvent s’identifier à Anne et réagir de façon exponentielle à son monde, en dépit du fait qu’elles vivent dans un pays dont la culture et l’univers diffèrent radicalement de ceux de l’autrice du roman.
Japon
Eri Muraoka, petite-fille de la première traductrice en japonais d’Anne of Green Gables, Hanako Muraoka
Anne of Green Gables a d’abord été présentée aux lecteurs japonais en 1952, sept ans après la défaite du Japon dans la Seconde Guerre mondiale. Anne, héroïne démocratique convenant à une ère nouvelle, faisait une apparition remarquée. Depuis, elle a attiré trois générations de lecteurs et lectrices et est la protagoniste le plus populaire chez les enfants et les adultes de tous âges. Les temps ont changé, et les gens sont plus prospères, mais Anne nous ramène toujours aux choses importantes que nous devons garder en mémoire, et nous y fait penser : quel est le vrai bonheur pour les êtres humains? Dans le monde de l’édition japonaise d’aujourd’hui, Anne of Green Gables s’est acquis une position solide et est devenu un classique. C’est notre point de départ, un ensemble de valeurs qui peuvent être transmises d’une génération à l’autre. Et tant que cette histoire continuera d’être lue, cela voudra dire que nous, les Japonais, n’oublierons jamais le respect que nous vouons à la culture canadienne et à la population de ce pays.
Norvège
Barbara Gawronska Pettersson et Susan Lynn Erdmann, Université d’Agder
Le roman Anne of Green Gables, de L.M. Montgomery, a été publié en norvégien en 1918 sous le titre Anne fra Bjørkely, et a été retraduit depuis trois autres fois – en 1940, 1982 et 2014. Bien que ne contenant qu’une fraction du texte originel, la traduction de 1940 de Mimi Sverdrup Lunden a été particulièrement populaire et a été rééditée plusieurs fois tout au long du 20e siècle, faisant connaître l’œuvre de Montgomery à plusieurs générations de lecteurs. Nombre de caractéristiques d’Avonlea ont été immédiatement familières aux lecteurs du milieu du siècle d’Anne fra Bjørkely. La densification de la population avait débuté en Norvège au cours de l’après-guerre, mais une bonne partie de la population continuait de vivre dans des petites villes, et la qualité intime de la vie sociale à Avonlea devait toucher une corde sensible dans le cœur de nombreux lecteurs et lectrices norvégiens.
La proximité d’Anne avec le monde naturel et son appréciation de la beauté de la nature parlait également aux Norvégiens. Et, bien sûr, Anne elle-même représentait des qualités telles que l’indépendance, le travail acharné, la loyauté et la débrouillardise, qui faisaient l’admiration des lecteurs et lectrices de l’après-guerre. Avec la publication de la version complète d’Anne par Kristine Quintano en 2014, de nouvelles générations de lecteurs norvégiens ont la possibilité de lire une version intégrale du classique de Montgomery, ce qui garantit la popularité du livre en Norvège.
Pologne
Dorota Pielorz, Université Jagellon, Cracovie (Pologne)
L’accueil d’Anne of Green Gables (Ania z Zielonego Wzgórza) en Pologne est un phénomène fascinant. La première traduction en polonais du grand succès de Montgomery par Rosalia Bernsteinowa a été publiée en 1911–1912. C’était la deuxième traduction des aventures d’Anne dans le monde (après l’édition suédoise, qui a constitué un point de référence pour l’Ania polonaise). Depuis, la protagoniste aux cheveux roux a été une figure très importante dans le polysystème littéraire des enfants et des jeunes Polonais, mais elle a également joué un rôle essentiel dans le processus de façonnement de la culture polonaise moderne en général. C’est encore un des ouvrages les plus importants et les plus populaires chez les enfants, particulièrement les filles, et on peut certainement le considérer comme un classique de la littérature pour enfants. Des exemplaires du roman le plus connu de Montgomery sont souvent transmis de mère en fille. Pendant plus d’un siècle, l’idéal d’une fille imaginative, bavarde, joyeuse et exceptionnellement intelligente, forte et indépendante a été présenté à un public polonais. Cela leur donne espoir et encourage les femmes à lutter pour leur émancipation à bien des niveaux différents. L’intérêt des lecteurs et des admirateurs ne se démentant pas, et la recherche se développant, la place d’Anne parmi les personnages favoris des adolescents et adolescentes semble assurée.
Russie
Irina Levchenko, Université de Vienne
Depuis sa première parution en Russie au milieu des années 1990, Anne a été traduit et adapté d’une multitude de façons : porteuse de valeurs familiales chrétiennes et traditionnelles, fille rebelle à la manière de Fifi Brindacier, classique pour enfants (simplifié) et mauvais roman historique à connotation sexuelle. Publié originellement dans une série constituée de classiques pour les jeunes Nord-Américaines tels que Little Women (Les Quatre Filles du docteur March) et Pollyanna, Anne, au fil des ans, a continuellement été incluse dans diverses séries pour filles par divers éditeurs. Par conséquent, le roman est en grande partie considéré dans le cadre d’un genre plutôt que de façon autonome.
Malheureusement, cela a non seulement érodé l’individualité d’Anne, mais également sa réputation : dans le cadre du système littéraire des enfants russes, les livres pour les filles sont souvent considérés comme un genre conventionnel équivalant à ce que sont les romans sentimentaux superficiels pour les femmes dans le monde de la littérature pour adultes – une étiquette superflue qui lui est resté accolée, en partie en raison d’une conception bas de gamme des livres. Des éditions récentes ont apporté des changements bienvenus au niveau visuel : un design de qualité et particulièrement des illustrations en couleurs, en plus d’élever le statut d’Anne, suggèrent liberté et indépendance féminines. Cependant, ces éditions continuent de recycler des traductions qui auraient également besoin d’une mise à jour féministe.
Afrique du Sud
Idette Noomé, Université de Pretoria
Ma mère, qui a grandi dans les années 1930 (lorsque l’Afrique du Sud était un État souverain au sein de l’Empire britannique) a été envoûtée par le roman de Montgomery dans les éditions « orangies » de Harrap, dont Anne of Windy Willows (Anne des saules venteux, et non des peupliers). Le paysage était très différent, mais la petite ville d’Avonlea et la vie à la ferme étaient suffisamment familiers pour que les lecteurs anglophones de classe moyenne, et certains lecteurs de langue afrikaans, puissent s’identifier à Anne, roman souvent lu en tandem avec Little Women, d’Alcott. Beaucoup lisaient et relisaient amoureusement les romans, les transmettant aux filles et aux petites-filles. Les deux premiers épisodes de la série de 1985 de Sullivan ont été présentés à la télévision (rediffusés dans les années 1990), faisant connaître Anne à de nouvelles générations. Aujourd’hui, Anne of Green Gables est le seul roman de la série qui soit librement disponible, et Montgomery n’est pas très connue – l’anglais est la lingua franca du commerce et de la science, mais n’est la langue familiale que d’environ 9 % des Sud-Africains, et les livres sont un luxe coûteux.
Reste à voir si Anne avec un E, de CBC/SRC (sur Netflix), va amener de nouveaux lecteurs d’Anne (Netflix avait 2 millions d’abonnés au pays en décembre 2020, soit 3 % de la population). Anne of Green Gables et Rilla of Ingleside (Rilla d’Ingleside) sont enseignés dans un cours d’études supérieures en littérature pour enfants à l’Université de Pretoria, où deux thèses de maîtrise et une thèse de spécialisation ont été rédigées sur Montgomery.
Suède
Åsa Warnqvist, directrice de la recherche et directrice de l’Institut suédois du livre pour enfants
Que signifie Anne pour les lecteurs et lectrices suédois? Bien des choses, selon les lecteurs avec lesquels j’ai été en contact lorsque j’ai exploré cette même question dans ma recherche. Anne of Green Gables a été publié en Suède en 1909, la toute première traduction dans le monde. Le reste de la série n’a pas tardé à paraître et la plupart des tomes ont fait continuellement l’objet de réimpressions depuis. Grâce à des comptes rendus écrits que m’ont fait parvenir des lecteurs suédois de tous âges, pour la plupart des femmes, j’ai appris que les livres de Montgomery suscitent une forte réaction émotionnelle dans de nombreux domaines de la vie de lecteurs ordinaires. Les livres sont un véritable dépôt de souvenirs et de liens émotionnels. Les lecteurs et lectrices font état de souvenirs d’enfance marquants liés à la lecture des livres, et d’expériences tout aussi fortes de relectures au long d’une vie. Les livres d’Anne s’inscrivent dans une tradition de lecture des femmes en Suède, créant un pont entre générations. Anne elle-même et l’universalité de ses expériences laissent une profonde impression. Des lecteurs témoignent qu’Anne les amène à voir la nature avec les yeux de l’imagination, et ils décrivent Anne comme un modèle de comportement lorsqu’ils font d’importants choix de vie, comme le passage aux études supérieures, le choix d’une profession ou d’un ou une partenaire. Anne invite les lecteurs à s’immerger émotionnellement dans les histoires. C’est elle qui suscite le bien-être, le réconfort, l’espoir et le sentiment d’émancipation que ressentent les lecteurs en lisant les livres.
Ukraine
Olga Nikolenko, professeur, chaire du Département de littérature mondiale à l’Université pédagogique nationale V.G. Korolenko de Poltava, et Kateryna Nikolenko, candidate au doctorat à l’Université nationale Ivan Franko de Lviv
La littérature canadienne constitue une partie importante du programme du cours sur la littérature mondiale pour les écoles secondaires d’Ukraine. Tout en lisant des livres d’Ernest Thompson Seton et Lucy Maud Montgomery, les écoliers ukrainiens découvrent la belle nature canadienne et s’immergent dans un magnifique monde d’amitié, de créativité et d’aventure. Les romans de Maud sont particulièrement significatifs lorsqu’il s’agit de former caractère, comportement et valeurs. Enseignants et élèves prennent tous beaucoup de plaisir à lire Anne of Green Gables, Anne of Avonlea (Anne d’Avonlea), Emily of New Moon (Émilie de la Nouvelle Lune 1), Emily Climbs (Émilie de la Nouvelle Lune 2) et Emily’s Quest (Émilie de la Nouvelle Lune 3). Ces livres sont devenus de véritables favoris parmi d’autres ouvrages figurant dans nos listes de suggestion de lectures. Non seulement ils témoignent de l’importance d’une demeure paisible et douillette pleine d’ « amour fidèle et tendre » – une demeure où « les vieux rêves perdurent », comme dirait Anne – mais ils nous incitent également à apprécier d’une nouvelle manière la famille, les amis et les histoires que nous nous racontons les uns aux autres.
L’imagination d’Anne est quelque chose que personne ne peut lui enlever. « Cette femme-enfant errante », qui rêvait le monde et le faisait exister selon ses rêves, a incité de nombreuses filles de notre pays à façonner et modeler la réalité à leur guise, à rester libre et à exploiter la puissance de leur esprit créateur. Et jusqu’à ce jour, Anne continue de nous enseigner à trouver de la joie en tout. Malgré tous les problèmes et échecs de sa vie, l’héroïne de Maud illustre la beauté et la joie de l’apprentissage, du rêve et de la fidélité à soi-même, et de la croyance en autrui.
Royaume-Uni
Jennifer H Litster, experte indépendante, Édimbourg
« Anne… la maison aux pignons verts », c’est la royauté britannique. Plus précisément, d’après l’écolier apocryphe, une des six malheureuses épouses d’Henri VIII. Une plaisanterie, bien sûr, qui réjouissait L.M. Montgomery, et pourtant il s’y trouve un brin de vérité. L’importance d’Anne Shirley dans notre éducation littéraire lui vaut une place avec Anne Boleyn et Anne de Clèves dans le lexique culturel britannique. Anne repose sur les rayons de bibliothèque des chambres d’enfant avec The Story of the Treasure Seeker (1899), Peter Pan (1904) et The Wind in the Willows (Le Vent dans les saules) (1908). Son héroïne imaginative, bavarde et fervente est tout autant une Sara Crewe ou une Alice, ou une Mary Lennox, qu’une Rebecca, une Pollyanna ou une Jo. Suivant les pas de la nouvelle mariée Montgomery à travers l’Angleterre et l’Écosse, sa biographe, Mary Rubio, n’a rencontré personne qui n’ait pas entendu parler d’Anne. Populaire dans le monde entier, le grand succès de 1908 de Montgomery occupe une place spéciale dans le monde britannique en raison de notre passé commun.
Mes recherches doctorales ont porté sur l’influence de l’Écosse – le pays de ses ancêtres – sur Maud Montgomery. Le cœur de l’Avonlea d’Anne bat sur une mélodie écossaise – les vaches de Cuthbert marchent au rythme du Marmion de Scott, les sensations fortes que procure la poésie de Campbell et Thomson, la balade nocturne de Tam O’Shanter, qui hantait le bois d’épinettes sur le ruisseau. Chardon écossais, chou puant canadien, rose anglaise – un mélange qui sent toujours aussi bon, quel qu’en soit le nom, Queen Anne.
États-Unis
Anne of Green Gables n’a jamais été épuisé aux États-Unis. L’héroïne éponyme figure au panthéon des personnages « classiques » de la littérature pour enfants. Pour les lecteurs américains, Anne repose sur les rayons près de Jo d’Orchard House (Les Quatre Filles du docteur March), de Laura de la série La Petite Maison, et Francie de Brooklyn (Le Lys de Brooklyn). Mais au-delà des listes et du canon – et chose encore plus importante – Anne est au cœur des expériences de passage à l’âge adulte de millions de lectrices. Des lectrices qui, très spontanément, révèleront avec enthousiasme comment mères et tantes, grands-mères et amies, leur ont fait don du livre. Des lectrices venues de toutes les régions et de tous les milieux, qui relatent avec émotion, oralement ou par écrit, l’effet qu’Anne a eu sur leur première lecture, et parlent du fait qu’elle les accompagne tout au long de leur vie. Il y a autant de lectrices d’Anne que d’ « Anne différentes ». Quelque chose sur l’histoire d’une fille courageuse et bavarde qui inspire changement et joie chez celles qui l’entourent parle aux lectrices de tous les temps, lieux et circonstances. Anne peut bien être « de » Green Gables, mais elle est « pour » nous tous.
Uruguay
Doreley Carolina Coll, Université de l’Île-du-Prince-Édouard, extrait de « Reading Anne of Green Gables in Montevideo », dans Anne Around the World: L.M. Montgomery and Her Classic, sous la direction de Jane Ledwell et Jean Mitchell, 2013.
Lorsque j’ai lu pour la première fois Anne of Green Gables à l’âge de onze ans à Montevideo, en Uruguay, j’ai ressenti une grande joie. Par une froide nuit de l’Atlantique sud, dans la chambre de ma mère, la seule où il y avait un foyer, je pouvais me blottir sous d’épaisses courtepointes avec mon livre, qui me transportait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire dans la cuisine de Marilla, avec l’odeur du pain à peine sorti du four, et la « Reine des neiges » dans toute sa splendeur lumineuse et odorante… Mais ce qui a vraiment frappé mon imagination, c’est la description par Montgomery de la crème glacée qu’on pouvait déguster au pique-nique de l’école du dimanche… De la crème glacée lors d’un pique-nique? Il ne faisait pas de doute que l’île du Prince-Édouard décrite dans Anne était un lieu enchanté! Ce qui pouvait être surprenant pour les spécialistes de Montgomery, c’était de voir la joyeuse et imaginative Anne prendre à son tour la place, importante, de la femme aux cheveux roux dans la littérature et l’art occidentaux par son influence sur l’enseignante, éducatrice et écrivaine Armonía Somers.
En tant qu’enseignante, Armonía Somers a été la personne responsable de l’inclusion d’Ana de las tejas verdes dans le programme scolaire uruguayen. … Le monde fictif d’Armonía Somers, l’écrivaine, a été clairement influencé par l’héroïne de Montgomery. … la puissante influence d’Armonía Somers comme pédagogue et sa décision de partager son amour de l’œuvre de L.M. Montgomery a façonné mon enfance. … Dans ses romans qui se déroulent dans l’île du Prince-Édouard, Montgomery a révélé les limites d’une société conformiste avec plus de douceur [que ne l’a fait Armonía Somers], donnant plus de place à l’imagination, au-delà des attentes rigoureuses basées sur le sexe et la classe. … Les boucles flamboyantes de l’héroïne produisent les étincelles que crée la bonne littérature, et suscitent chez les lectrices de nombreux lieux et époques des visions de ce que pourrait être le monde.