Le manuscrit que Montgomery a créé
Le manuscrit que
Montgomery a créé
Elizabeth R. Epperly
Tout dans le manuscrit d’Anne of Green Gables récompense une lecture attentive. Observer les suppressions et les insertions, voir les endroits où les noms Laura et Gertrude sont biffés de part en part, et où l’autrice se décide pour Diana, nous voyons Montgomery considérer la pertinence de chaque mot, écrivant parfois rapidement (avec une écriture inclinée vers l’avant et même un flux d’encre), et écrivant à d’autres moments d’une écriture dense inégalement inclinée qui donne une impression d’hésitation et de lutte.
Détail de la page 46 du manuscrit où Montgomery a décidé du nom de Diana. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Ce manuscrit (qu’on appelle plus précisément olographe, ce qui signifie qu’il est entièrement de la main de la personne désignée comme l’auteur) consiste en une pile de pages maintenant minces qui s’avèrent constituer deux lots : 716 pages (numérotées) de l’histoire et 137 pages de « Notes », des passages que Montgomery a ajoutés au manuscrit quand elle a plus tard dactylographié celui-ci.
Nombre des méthodes que Montgomery a utilisées pour créer son premier roman publié 1 sont celles qu’elle a élaborées en écrivant les centaines de nouvelles et de poèmes qu’elle a publiés avec succès dans les années 1890 et au début des années 1900 2. Elle a continué à utiliser les mêmes techniques de conception et de révision pour les 19 autres romans qu’elle a publiés durant sa vie. Seize 3 des olographes de romans ont survécu et peuvent être étudiés, mais le manuscrit d’Anne of Green Gables se démarque par le plaisir évident que Montgomery a éprouvé en le rédigeant.
Le tout premier paragraphe présente les deux processus de révision de Montgomery : elle a spontanément ajouté, supprimé et modifié des mots en écrivant, ou lorsqu’elle se relisait, employant des carets et biffant des passages; et elle a créé un système d’ajouts avec un ensemble de pages de « Notes » qui se trouvaient à la fin du manuscrit, et, dans le texte même du roman, une séquence correspondante d’ajouts constituée du mot « Note » suivi d’une lettre de l’alphabet, avec un nombre ajouté à la lettre une fois toutes les lettres de l’alphabet utilisées. Donc, après de A à Z, elle passait à A1, B1, et ainsi de suite. La première page d’Anne introduit « Note A » et « Note B ».

Jamais fanatique des dates ou des chiffres, Montgomery se trompait parfois dans la numérotation des pages, et elle pouvait même les renuméroter de manière erronée. Il y a en fait 844 pages en tout, et non 853, puisque Montgomery a passé quelques pages en numérotant les pages du roman et les pages de Notes, mais elle a également ajouté quelques versions « a » et « b » de pages individuelles dans les deux sections 4.
Plus de 230 pages du manuscrit du roman, et une cinquantaine de pages des Notes, sont écrites au verso de certains des manuscrits d’histoires et de poèmes antérieurs. Ces pages sont elles-mêmes dignes d’étude; elles présentent également les premiers noms de plume essayés par Montgomery et des nombres déroutants dans les marges de certaines histoires.
Des insertions locales et des Notes ajoutées montrent l’œil et l’oreille de l’artiste à l’œuvre.


Détail des corrections de Montgomery à la page 117b, chapitre 8. Le passage montre des mots et des expressions insérés ainsi que l’ajout de la Note H4.

1 Le premier roman écrit par Montgomery, intitulé A Golden Carol, ne fut pas – heureusement, dit-elle – publié. Elle l’a écrit en se servant de formules, espérant une vente immédiate. Elle a réalisé plus tard que si elle avait connu le succès avec une telle œuvre, elle n’aurait peut-être jamais écrit un véritable roman venu du cœur. On n’a trouvé aucun exemplaire de A Golden Carol. Retour
2 Avant juin 1905, Montgomery avait publié près de 200 poèmes et presque autant de nouvelles. An Annotated Bibliography of L.M. Montgomery’s Stories and Poems: Based on Rea Wilmshurst’s Original Chronological Bibliography in Lucy Maud Montgomery: A Preliminary Bibliography (1986). Compilé et publié sous la direction de Carolyn Strom Collins. L.M. Montgomery Institute, 2016. Voir d’autres Ressources et liens. Retour
3 Les quatre manuscrits de roman qui n’ont pas survécu sont Anne of Avonlea (1909), Kilmeny of the Orchard (1910), The Story Girl (1911), et The Golden Road (1913). Le Musée d’art du Centre de la Confédération possède 15 des manuscrits de roman, et l’Université de Guelph possède le manuscrit de Rilla of Ingleside (1921) qui a été « découvert » et acheté en 1999. Voir également la transcription annotée sous la direction d’Elizabeth Waterston et Kate Waterston de Rilla: Readying Rilla: L.M. Montgomery’s Reworking of Rilla of Ingleside, Rock’s Mills Press, 2016. Inspirée par elles, Carolyn Strom Collins a publié sa propre transcription : Anne of Green Gables: The Original Manuscript, Nimbus Publishing, 2019. Retour
4 Voir Collins, « Introduction », Anne of Green Gables: The Original Manuscript, Nimbus Publishing, 2019, p. 5. Retour