Rédaction et révision
Rédaction et révision
Elizabeth R. Epperly
Peu importe ce qu’elle écrivait, Montgomery pouvait s’abstraire de ce qui l’entourait et être complètement absorbée par ce qu’elle créait. Elle vivait ce qu’elle écrivait. Le 10 septembre 1908, elle écrivait à son correspondant Ephraim Weber sur la rédaction d’Anne of Green Gables.
« Oui, mon style m’a donné beaucoup de mal. J’ai révisé et réécrit jusqu’à ce que je me surprenne moi-même. »
Composition
De façon très éloquente, parmi ses réponses aux questions posées par l’éditeur Arthur Hoffman dans les années 1920, elle disait :
« Quand je lis une histoire, je vois quand j’écris une histoire, je suis moi-même les gens et je vis leurs expériences 1. »
Elle récitait parfois tout haut des passages qu’elle était en train d’écrire, testant mots et rythmes.
L’habitude de Montgomery de mettre un cartable en équilibre sur ses genoux ou sur ses genoux lui permettait d’écrire quelles que soient les saisons ou les tâches qu’elle était en train d’exécuter. Elle préférait un papier non ligné, et elle écrivait avec une plume et de l’encre.
Durant de nombreuses années, Montgomery a préféré utiliser une plume Waverley, plume dotée d’une pointe spéciale qui tournait vers le haut plutôt que vers le bas, et qui était censée faire couler l’encre de façon régulière. Toutes les quelques lignes, Montgomery devait plonger sa plume dans l’encrier.
Des pages du manuscrit montrent où l’encre est épaisse et fraîche, et où elle s’épuise.
L’endroit préféré de Montgomery pour écrire était sa chambre par temps chaud à l’étage de la maison des Macneill à Cavendish, son « cher repaire », où son intimité était garantie. Mais elle pouvait facilement emporter son cartable et son encrier dans la cuisine, quand elle avait besoin d’y être, ou quand le temps devenait plus froid et qu’elle devait dormir en bas.
Elle ne composait pas sur une machine à écrire, et elle a écrit tous ses romans (et ses nouvelles) à la main. Comme Virginia Woolf, Montgomery aimait l’acte même d’écrire. Lorsqu’elle composait de la poésie, elle se servait d’une ardoise d’écolier pour pouvoir effacer et réviser facilement avant de mettre les mots sur papier. Son écriture peut être difficile à lire et les éditeurs s’en plaignaient, de sorte qu’elle s’est procuré une machine à écrire, dont elle ne se servait cependant pas pour composer.
Il lui a fallu des semaines pour taper le texte définitif d’Anne of Green Gables, réunissant les pages du roman et les pages de « Notes ». Le tapuscrit a probablement été détruit avec d’autres papiers lorsque la L.C. Page Company de Boston a été rachetée par une autre compagnie.
Révision
Montgomery relisait et révisait souvent des pages antérieures avant de commencer une nouvelle journée d’écriture; parfois, elle remontait jusqu’au début d’un manuscrit avant d’écrire une nouvelle ligne, apportant des améliorations à la formulation et à la longueur.
Montgomery faisait des révisions locales et spontanées directement sur les pages mêmes.2 Par exemple, les deux phrases suivantes (tirées de la p. 62 du manuscrit) montrent que Montgomery écrivait vite, biffait et transférait les mots biffés dans la phrase suivante : « Matthew Cuthbert, je vois on ne peut plus clairement constate que cette enfant t’a ensorcelé. Je peux voir clair comme le jour que tu veux la garder. »
Elle ajoutait du texte plus tard (et parfois alors qu’elle écrivait), utilisant un schéma alphanumérique qui fonctionnait ainsi : elle insérait le mot « Note » dans son texte, puis une lettre majuscule, en commençant par A; sur une feuille séparée des pages de Notes, elle écrivait l’ajout ou le changement. La Note A était suivie de la Note B, et ce jusqu’à la Note Z. Elle recommençait alors l’alphabet, de la Note A1 à la Note Z1, et ainsi de suite, reprenant l’alphabet parfois jusqu’à 25 fois (dans Emily of New Moon – Émilie de la nouvelle lune). Dans Anne of Green Gables, la dernière Note est S19.
Montgomery a tôt laissé tomber le mot « Note », mais elle l’a parfois repris, passant d’une lettre de l’alphabet à l’autre, jusqu’à S19. Les Notes sont dans l’ordre, mais il lui arrivait de répéter des lettres et des nombres, et le recopiage évident de Notes a pu conduire à la création, par exemple, de deux pages 21, l’une après l’autre. Quand elle tapait le manuscrit, elle faisait généralement un grand X, habituellement au crayon, à travers chaque Note.
Deux des plus longues Notes ajoutées dans le manuscrit se trouvent au chapitre 16, « Une invitation à prendre le thé qui tourne au tragique ». Elles montrent que Montgomery allonge stratégiquement le monologue d’Anne. Quand Anne donne involontairement à Diana du vin de groseille au lieu d’un cordial aux framboises, elle dit simplement :
« La dernière fois que j’ai fait un gâteau, j’ai oublié de mettre la farine. Tu sais, la farine, c’est important dans les gâteaux. Marilla était furieuse, tu penses bien! Je lui occasionne bien des problèmes. Mais, Diana, qu’est-ce qui se passe? »
Dans ces quelques lignes, Montgomery a inséré plus de 100 mots dans [la Note] Z8, et plus de 400 mots dans [la Note] A9. Les deux Notes, non seulement allongent le discours comique d’Anne, mais donnent également à Diana le temps de boire trois malsains gobelets de vin de groseille. L’effet comique et le facteur temps se trouvent très améliorés. Chose intéressante, Montgomery avait déjà utilisé Z8 et A9 pour des Notes du chapitre précédent, « Une tempête dans le verre d’eau qu’est l’école », où elle a fait suivre par erreur A9 de B8, et donc reproduit toute la séquence B8-A9. Elle semble avoir reconnu son erreur avec Z8 et A9 de ce chapitre, et a donc numéroté les pages de Note comme étant A et B. Après son second A9, la numérotation est de nouveau correcte.
En révisant la fin de ce même chapitre, Montgomery a effectué un changement encore plus important et stratégique : la fin n’est plus comique mais empreinte de tendresse, approfondissant le portrait de Marilla. À l’origine, le chapitre se terminait par le rire de Marilla parlant à Matthew des frasques d’Anne avec le vin. Puis Montgomery a ajouté un passage final où Marilla découvre qu’Anne s’est endormie en pleurant. L’ajout de [la Note] K9 se termine par : « Puis elle se pencha et embrassa la joue encore rouge qui reposait sur l’oreiller. »
Les 200 mots de la Note Y14 au chapitre 25, « Matthew exige des manches bouffantes », font mieux saisir au lecteur, non seulement l’aimable sagesse de Mme Lynde, mais également le changement de comportement de Matthew depuis l’arrivée d’Anne à la maison aux pignons verts. Avec les réflexions de Mme Lynde, Montgomery crée adroitement un suspense autour de la surprise d’Anne et de Marilla relativement à la robe à manches bouffantes que Rachel a confectionnée.
Ces changements enrichissants sont légion dans le manuscrit. Tout peut effectivement avoir été planifié à l’avance, mais les changements spontanés et réfléchis de l’artiste transforment un plan en un monde global.