La traduction en suédois d’Anne of Green Gables
La traduction en suédois d’Anne of Green Gables et son influence durable
Laura Leden
En 1909, la Suède a été le premier pays au monde à publier une traduction d’Anne of Green Gables. La traduction en suédois, Anne på Grönkulla (Anne sur la colline verte), de Karin Lindforss Jensen, a été publiée par C.W.K. Gleerup. Comme l’a découvert Åsa Warnqvist, l’initiative de publier aussi tôt Anne of Green Gables en Suède est venue de Seved Ribbing, un des membres du conseil de la maison d’édition C.W.K. Gleerup, qui a peut-être découvert le livre grâce à une publicité ou une critique britannique. Tous les ouvrages de la série ont été traduits en suédois dans la série Gleerups ungdomsböcker (Livres pour la jeunesse de Gleerup).
En Suède, les romans de Montgomery figuraient dans le domaine de la littérature pour enfants, partie de l’industrie de l’édition apparue après la Seconde Guerre mondiale. Des recherches montrent que toutes les traductions publiées originellement par Gleerup sont quelque peu abrégées, car elles visent un lectorat plus jeune que l’original de Montgomery 1. Des éléments tels que des descriptions de la nature, des qualités spirituelles, des références intertextuelles et l’élimination de stéréotypes sexuels ont été supprimés ou modifiés.
Popularité
La traduction suédoise de Jensen d’Anne of Green Gables a été d’emblée populaire et est demeurée disponible jusqu’à ce jour. La langue de la traduction a été révisée en 1955 par Britt G. Hallqvist, et en 1991 et 2018 par Christina Westman, mais aucun des passages supprimés n’a été rétabli. En plus de la traduction de Jensen, la Suède a connu deux autres retraductions fortement abrégées d’Anne of Green Gables, la première d’Aslög Davidson en 1941, et l’autre de Margareta Sjögren-Olsson en 1962, publiées par des éditeurs différents. Ces traductions axées sur l’intrigue perdaient une partie de la complexité du personnage et de l’histoire dans l’œuvre de Montgomery, et n’ont donc jamais connu la popularité de la traduction originelle et de ses versions révisées.
Influence suédoise
Outre sa popularité constante en Suède, la première traduction en suédois a eu une influence importante en Pologne, ainsi que dans les autres pays nordiques, la Norvège, le Danemark, la Finlande et l’Islande. La deuxième traduction d’Anne of Green Gables a été la traduction en polonais, Ania z Zielonego Wzgórza (Ania de la colline verte), œuvre de Rozalia Bernsteinowa en 1911, qui se basait sur la traduction suédoise de Jensen. Quelques années plus tard, inspirés par le succès suédois, la Norvège et le Danemark ont publié une première traduction de l’ouvrage. En 1918, l’éditeur norvégien H. Aschehoug & Co. A publié Anne fra Birkely (Anne de la colline aux bouleaux), traduit par Elise Horn. La même année, la section danoise d’Aschehoug a publié Anna fra Grønnebrink (Anne de la colline verte), traduction très abrégée d’Anna Erslev et Dagmar Gade. Le fait que les traductions norvégienne et danoise, tout comme la traduction polonaise, reprennent le titre suédois, remplaçant les Pignons verts par la Colline verte ou la Colline aux bouleaux, montre que la traduction en suédois a été le texte de départ, car le texte original de Montgomery ne précise jamais que la maison aux pignons verts se trouve sur une colline.
En 1920, l’influence suédoise s’est étendue jusqu’à la Finlande avec la publication d’Annan nuoruusvuodet (Les jeunes années d’Anna; traduit par Hilja Vesala) par Werner Söderström Oy (WSOY). Le titre finnois étonnamment générique est très différent des titres utilisés dans les autres pays nordiques, mais le nom finnois des Pignons verts est Vihervaara (Colline verte), faisant de la « colline » un élément récurrent dans toutes les traductions nordiques. En 1961, la traduction en finnois d’Anne of Green Gables a été révisée et abrégée davantage, sans doute par l’éditrice de livres pour enfants de WSOY, Inka Makkonen, et la traduction suédoise a de nouveau fait office de texte de départ pour la révision. Cette traduction révisée est toujours disponible.
En 1933, l’Islande a été le dernier pays nordique à publier une traduction d’Anne of Green Gables, sous le titre Anna í Grænuhlíð (Anna sur la colline verte), traduit par Axel Guðmundsson et publié par Ólafur Erlingsson. L’influence suédoise s’est aussi étendue indirectement à cette traduction abrégée et simplifiée, qui semble avoir eu pour texte de départ la traduction danoise. Elle a fait l’objet de plusieurs réimpressions tout au long du XXe siècle.
Le milieu de l’édition dans les pays nordiques
L’influence importante de la première traduction en suédois illustre les liens étroits et la collaboration au sein de l’industrie nordique de l’édition de livres pour enfants au 20e siècle. En général, il était assez courant que des éditeurs nordiques adoptent pour texte de départ pour la traduction de livres pour enfants d’autres traductions scandinaves plutôt que les originaux anglais, parce que davantage de traducteurs maîtrisaient les langues scandinaves, et il était facile de se procurer les livres de pays voisins.
Cointrairement aux traductions en suédois et en finnois, dont la popularité ne s’est jamais démentie, les premières traductions en norvégien et en danois de 1918 n’ont pas connu de succès. La traduction norvégienne n’a fait l’objet que d’une seule réimpression, et la danoise d’aucune. Toutefois, en 1941, Aschehoug a publié une retraduction en norvégien sous le titre Anne fra Bjørkely (Anne de la colline aux bouleaux) par Mimi Svedrup Lunden, qui est demeurée disponible. D’après Susan Erdmann et Barbara Gawrońska Pettersson, la traduction de Lunden est une traduction fortement abrégée aux intentions féministes et socialistes qui atténuent les éléments romantiques et spirituels de Montgomery.
Le Danemark n’a rattrapé son retard qu’en 1987 lorsque l’éditeur Høst & Søn, encouragé par la popularité de la mini-série Anne of Green Gables (1985) de Sullivan Entertainment, a publié une version intégrale d’Anne of Green Gables sous le titre Anne fra Grønnebakken (Anne de la colline verte). Elle a été retraduite par Gitte Nordbo.
Ces dernières années, il y a eu de nombreuses retraductions nordiques, publiées par de petits éditeurs. Des retraductions intégrales d’Anne of Green Gables ont été publiées en Norvège par un club de lecture, en 1982, et par Transit en 2014, et en Islande par Ástríki en 2012. En Suède et en Finlande, aucune traduction intégrale n’a encore été publiée, mais le petit éditeur Aglaktuq a commandé une retraduction en suédois, qui doit paraître en 2022. Le nombre de retraductions témoigne de la popularité durable d’Anne of Green Gables dans les pays nordiques.
Lecteurs inspirés
La popularité constante de Montgomery et d’Anne of Green Gables en Suède a été confirmée dans la collection d’expériences de lecture d’Åsa Warnqvist, Besläktade själar (Âmes soeurs 2009). Sa collection s’est inspirée de Uuden Kuun ja Vihervaaran tytöt (Les filles de la Nouvelle Lune et des Pignons verts 2005), de Suvi Ahola et Satu Koskimies, une collection semblable de réflexions de lecteurs finnois.
Les deux collections montrent que des générations de filles et de femmes suédoises et finnoises ont apprécié et aimé Anne of Green Gables et les autres ouvrages de Montgomery. Les livres sont souvent transmis de mère en fille. Des lectrices témoignent que les livres ont eu une grande influence dans leur vie. Anne est considérée comme un modèle de comportement qui inspire la croissance personnelle et influence des ambitions de carrière dans l’enseignement et l’écriture, et même le choix de partenaires du genre de Gilbert.
Les lecteurs et lectrices nordiques ont un lien émotionnel très fort avec Anne et s’identifient souvent à elle et la décrivent comme une âme sœur. Les ouvrages de Montgomery ont enseigné à nombre de lectrices l’amour de la nature et leur ont montré comment vivre de façon créatrice avec elle. Les lectrices trouvent le paysage de l’île du Prince-Édouard familier, car les paysages canadiens et nordiques se ressemblent, et les traductions suédoises, et donc également finnoises, permettent d’apprivoiser beaucoup de références culturelles peu familières.
Le statut de Montgomery dans les pays nordiques se reflète également dans les recherches qu’elle a inspirées. La Suède a été un précurseur dans les études sur Montgomery, avec une thèse de doctorat de Gabriella Åhmansson en 1991, et la Finlande a suivi avec la première thèse de doctorat de Vappu Kannas sur Montgomery en 2015. À ce jour, des études sur Montgomery ont été réalisées dans tous les pays nordiques.
Chose tout à fait remarquable, les livres, lus et relus, accompagnent de nombreux lecteurs tout au long de leur vie. Les livres de Montgomery constituent un moyen pour les lecteurs de réfléchir sur leur propre vie en découvrant différentes choses dans ses textes.